De Mashteuiatsh à l’UdeM

C’est après de multiples tentatives – Jimmy et moi-même étant fort occupés au courant de l’été et lors de la rentrée – que nous réussissons enfin à nous rencontrer à l’AHC, au niveau mezzanine de Jean-Brillant, là où se situe aussi le salon Uatik pour les étudiants autochtones.

Tout de suite, Jimmy me met à l’aise et parle avec aisance de son histoire, de son rôle et de lui-même aujourd’hui.

« Je suis né à Mashteuiatsh, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je suis de la nation Innu. Je suis à la deuxième année de maîtrise en anthropologie, et j’ai complété un baccalauréat pluridisciplinaire en environnement, géographie et études autochtones. » Comme moi, il parle français et, comme moi, mais avec plus de succès, il prend des cours d’Innu pour solidifier ses bases, et pour ensuite aller en territoire avec des gens de chez lui pour réapprendre.

Jimmy n’est pas un sédentaire. Depuis qu’il a quitté sa communauté, à 18 ans, il fait « le boomerang » en y retournant périodiquement. Après un Cégep difficile, il finit par arrêter l’école pendant près de cinq ans. Il voyage, travaille, puis revient à Chicoutimi y compléter deux certificats. Il habite à Montréal depuis trois ans maintenant. Dès qu’il entre à la maîtrise, il est en forte demande : ce n’est pas tous les jours qu’on croise un étudiant autochtone au deuxième cycle, qui en plus fait des recherches sur les autochtones. Plusieurs universités tentent de le recruter comme auxiliaire de recherche, en vain. Jimmy est passionné, actif; il veut faire plus que s’asseoir à un bureau. Il accepte donc finalement le poste d’agent de liaison au service des étudiants autochtones, poste qu’il occupe conjointement avec Anna Mapachee. Ils sont, d’une part, responsables du salon Uatik, où ils offrent du soutien aux étudiants autochtones, notamment pour leur intégration et leur réussite scolaire. Ayant lui-même été dans leur situation, Jimmy se sert de son expérience pour veiller sur ces nouveaux étudiants. Ainsi, ils agissent aussi, informellement, à titre de mentor pour les nouveaux étudiants autochtones.

« Jimmy, par exemple, retourne encore souvent à Mashteuiatsh, à cinq heures de Montréal, puis, s’il veut se rendre sur le territoire de chasse familial, doit rouler encore trois heures, pour un total de huit. »

Quand il est arrivé à l’Université de Montréal, peu de ressources existaient. Les autochtones devaient se rabattre sur les services aux étudiants étrangers – ce qu’ils ne sont pas – ou bien avoir accès aux mêmes services que tous les nouveaux étudiants, peu adaptés à leur situation. Il a toutefois rencontré une belle motivation dans divers organes de l’institution, ce qui explique la rapide expansion des ressources pour les étudiants autochtones. Si les universités anglophones avaient une certaine longueur d’avance, c’est aussi parce qu’elles étaient davantage en contact avec cette réalité; les communautés autour de Montréal sont plus anglophones. Au moins, Jimmy note un réel désir de collaborer, ce qui accélère le processus.

Au fil de notre discussion, plusieurs difficultés par rapport à l’université ressortent. D’abord, le départ de sa communauté est difficile, particulièrement pour les autochtones ne venant pas de Montréal. Jimmy, par exemple, retourne encore souvent à Mashteuiatsh, à cinq heures de Montréal; puis, s’il veut se rendre sur le territoire de chasse familial, doit rouler encore trois heures, pour un total de huit. Outre la distance, Montréal rend difficile l’accès à la forêt, et je ne peux qu’acquiescer. Comme moi, Jimmy retourne dans la nature dès que possible. « Aller en forêt, je me l’oblige, me dit-il. C’est de plus en plus difficile d’avoir le temps, et de plus en plus facile de laisser tomber tout ça. Je me donne cette responsabilité d’aller sur le territoire qui a toujours été occupé par ma famille. Même si c’est loin de chez moi, j’essaie de garder un lien qui reste vivant. C’est aussi lié avec mes recherches à la maîtrise. »

En effet, Jimmy étudie les différents types de relations au territoire, soit les façons de vivre et d’occuper la forêt aujourd’hui, en comparaison avec les générations plus vieilles. « Notre génération, les 25-40 ans, vivons vraiment différemment des générations précédentes. Je m’intéresse donc à la manière dont on vit, nous, le territoire aujourd’hui. » Vivre le territoire, ce n’est pas que l’occuper, m’explique-t-il. C’est aussi comment on l’étudie, la manière dont on y pense, quand on en parle, quand je mange du gibier qui en vient, même. « Aujourd’hui, on vit le territoire un peu à la manière des allochtones, c’est-à-dire que c’est davantage un loisir qu’une nécessité ou un mode de vie. On vit le territoire quand on a le temps, l’argent et l’envie… Aujourd’hui, on a tous une vie occupée, souvent en ville ou sur la réserve. Associé à ça, il y a le problème de la transmission de la connaissance, la transmission de la langue et de la manière dont on vit le territoire. »

Au moins, il existe à Montréal plusieurs activités qui permettent de renouer avec la culture, mais aussi de la partager avec les allochtones. Depuis plusieurs années déjà se déroule la semaine Mitig, à l’Université de Montréal. Elle a pour but de sensibiliser les étudiants sur les questions et enjeux autochtones. Ne soyez donc pas étonnés de voir, devant le pavillon Claire-McNicoll, un vrai tipi, ou de vous faire proposer des dégustations de mets traditionnels. Outre ces amusements, plusieurs conférences et kiosques auront lieu sur le campus. On y parlera d’activités traditionnelles, des questions linguistiques, mais aussi des pensionnats, de la culture matérielle, etc. Avez-vous remarqué, d’ailleurs, l’exposition Regalia? Elle est affichée tout le long du deuxième étage de Jean-Brillant, et je vous invite à y jeter un coup d’œil, entre deux cours…

L’exposition Regalia, affichée au deuxième étage de Jean-Brillant. 

Enfin, alors que nous concluons notre longue conversation, Jimmy m’interrompt avec enthousiasme. « J’aimerais développer un partenariat entre le Salon Uatik et la station biologie des Laurentides, où tu peux déjà aller passer des séjours, que ce soit pour la recherche, le loisir, la rédaction, ou relaxer en sortant de la ville. C’est ouvert à toute la communauté étudiante, mais je veux organiser des activités sur place là-bas, avec des étudiants du Salon Uatik. Ça peut éviter de faire huit heures de route! », conclut-il en riant.

Note pour l’étudiant.e aguerri.e : Les enjeux et questions autochtones t’intéressent? Tu peux t’engager auprès du groupe Ok8api [O-kwa-pi], qui organise des discussions ainsi que des événements pour sensibiliser la population étudiante. Ouvert à tous!

Une tranche de vie

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