La désillusion du retour

Toi, étudiant.e en 1ère année ou en échange, qui vient d’Europe, d’Asie ou d’ailleurs dans le monde et qui t’apprête à effectuer le grand retour dans ton pays pour les Fêtes, voici ce que j’ai à te dire.

  • Retour à la maison?

Le 23 décembre, je rentre à Thonon-les-Bains, une petite ville de Haute-Savoie. En atterrissant à Lyon, j’ai le réflexe banal d’allumer mon cellulaire. Mon opérateur d’avant s’affiche, c’est drôle, je me sens à la maison. Ah, mais ce n’est plus mon opérateur. Donc quoi, je n’ai pas de réseau en France? C’est stupide, c’est insignifiant, c’est puéril. C’est pourtant la première des petites choses qui m’ont fait me sentir étrangère dans mon propre pays.

À l’aéroport, j’entre dans une boutique informatique pour acheter un adaptateur. J’ai acheté mon ordi à Montréal, alors le chargeur n’est pas compatible avec les prises françaises. Je pose l’article en question sur le comptoir et le vendeur me demande 5 euros. En anglais. Il me parle en anglais. Je souris en lui disant que je suis française. Il me dévisage d’un air mi-sceptique/mi-vraiment-judgemental. Je ne sais pas ce qui m’a le plus frappée entre le fait qu’il ne m’ait pas cru quand j’ai dit que j’étais Française et le fait qu’il est vraiment désagréable. Pour la première fois, je comprends les Québécois qui me disent que les Français sont désagréables.

Je l’ai dit, je viens d’une petite ville. Pour les gens de là-bas, ma démarche d’aller vivre ou même juste d’étudier au Canada a toujours été absurde. Eux, ils trouvent que Paris, c’est trop loin de leur famille. Eux, leur rêve dans la vie, c’est d’avoir une maison au bord du lac Léman, pas trop loin de celle de leurs parents. Avec un chien. Et d’aller au ski la fin de semaine. Pas pire, comme vie? Mais moi, ce n’est pas celle que j’ai choisie. Et pour ça, ils me jugent. Est-ce que c’est stigmatisant de dire que les gens venant des campagnes françaises ne sont pas ouverts à la différence? Parce que moi, c’est ce que je ressentais à ce moment-là.

  • Des Fêtes de famille

24 décembre. Réveillon de Noël. Je revois tout ce monde : mes cousins, mes grands-parents… Mes cousins n’ont pas assez grandi pour qu’on puisse avoir une réelle conversation, mais je suis quand même contente de les voir. J’imagine. Mais bon, ils ne m’ont pas manqué pour autant pendant ces quatre mois. Mes grands-parents, c’est une autre histoire. Depuis mon retour, ma grand-mère ne fait que se plaindre que je lui manque beaucoup (et qu’elle n’a toujours pas réussi à installer WhatsApp sur son téléphone) sans poser une seule question sur ma vie à Montréal. J’ai l’impression qu’elle me blâme pour avoir fait des choix qui sont bons pour moi et je trouve ça vraiment égoïste. J’aimerais pouvoir leur dire à tous et toutes que je suis heureuse dans ma nouvelle vie, mais je crois qu’ils et qu’elles n’en ont pas grand-chose à faire. Ils sont occupés à parler de la vie de quartier et de la nouvelle femme du boucher. C’était déjà comme ça avant, sauf que ça me frappe plus qu’avant, probablement parce que je n’ai pas été là-dedans depuis 4 mois.

  • Identité mélangée

13e arrondissement de Paris, 31 décembre. Je suis avec deux amis français que j’ai rencontrés à Montréal. Tous les trois, nous nous sommes fait choker à notre retour par nos ami.e.s du lycée. On a donc décidé de passer le réveillon en France. Mon ami Jeremy interpelle deux filles qui sont devant nous dans la file pour entrer dans un bar et commence à discuter avec elles. On démarre une conversation. Elles sont sympas.

Et là, j’ouvre la bouche et je parle. Ses yeux s’écarquillent et sa face se fend d’un rictus.

« Ah mais t’es Québécoise! » Il y a du dégout dans sa voix ou c’est moi? Je regarde mon ami qui a l’air aussi surpris que moi.

« Euh, bah non, je suis Française, mais j’habite au Québec… depuis 4 mois »

« Ah mais t’as tellement l’accent, on dirait pas que t’es Française, oh my god, j’aimerais tellement pas avoir l’accent québécois, c’est tellement moche »… Pardon?

Mon ami me regarde avec la même incompréhension.

« Ok, on s’en va »

En habitant dans un pays étranger à celui dans lequel on a grandi, on change. Des fois, c’est rapide, des fois, c’est plus long. Ça dépend des personnes. Moi, ça a été plutôt rapide. Quand on change, les gens avec qui on a autrefois tout partagé ne nous comprennent plus, ou plutôt plus totalement. Et ça peut faire mal. Mais au lieu de voir ce que les gens ne comprennent plus, tu peux décider de voir ce qu’ils comprennent encore. C’est ce recul qui m’a manqué l’année dernière quand je suis rentrée pour Noël.

Allez, bon retour et bon temps des Fêtes! <3

5 tranches de vie

  • J’ai aimé beaucoup l’article… quand l’on est étudiant étranger il y a 2 chocs, au moment d’arriver et au moment de retourner…

  • J’ai bien aimé le contraste que tu établis entre ces deux personnes, c’est-à-dire celle issue de France et celle qui se réalise au Québec. Et le style est sympa !

  • Bonjour Claire,

    Je suis Québécoise et j’habite à Thonon-les-Bains depuis 4 1/2 ans. J’adore tellement cette ville et la région que je ne veux plus retourner vivre au Québec. Comme toi, je me sens étrangère dans mon propre pays quand j’y retourne pour les vacances. Je trouve que les Québécois ont l’esprit fermé et qu’ils ne s’intéressent pas vraiment à ce qui se passe à l’extérieur du Québec. Quant à mon accent, les Thononais l’adore et m’incite à ne surtout pas le perdre. C’est donc dire, on n’est jamais prophète dans son pays !

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